Les leaders de l’industrie commentent la fusion EssilorLuxottica
jeudi, janvier 26 2017 | 00 h 00 min | Acquisitions
InfoClip publiera la réaction des gens de l’industrie canadienne par rapport au méga contrat entre les deux géants de l’industrie. Marquez cette page pour d’autres réactions à mesure que nous les recevons.
Le 26 janvier:
L’Ordre des Optométristes du Québec (OOQ), par la voix de son président, le Dr Langis Michaud nous livre en exclusivité ses commentaires :
« Dans un premier temps, cette fusion s’inscrit dans un mouvement de consolidation dans le domaine de l’optique que nous avons vu arriver il y a plusieurs années, autant en verres ophtalmiques qu’en lentilles cornéennes. Le fait qu’un manufacturier de montures soit partie prenante d’une nouvelle initiative est un signe que l’on vient d’atteindre un second niveau quant à la consolidation. On peut ainsi s’attendre à ce que d’autres emboîtent le pas, afin de suivre la concurrence qui vient de s’installer. Donc, le mouvement est irréversible, va se poursuivre, s’accélérer, et dégager des conglomérats de plus en plus importants pour lesquels, du moins de notre perspective, les professionnels, d’une part, et les patients, d’autres parts, seront en théorie, les victimes collatérales.
En effet, à chaque fusion, les professionnels, et donc les patients, perdent des opportunités de s’approvisionner à de multiples sources. Les produits sont variés à l’intérieur des compagnies, mais une offre de services d’un nombre de joueurs de plus en plus restreints n’est jamais une bonne nouvelle ni pour les prescripteurs, ni pour leurs patients. Les professionnels et les patients deviennent donc dépendants d’une source minimale de fournisseurs ce qui laisse peu de place au jugement professionnel et à l’adaptation des options aux besoins réels des patients. On standardise les procédures et on limite les paramètres à ce qui est le plus courant et profitable, du point de vue du manufacturier.
Nous l’avons vécu en lentilles cornéennes. Il fut un temps où l’on avait plusieurs lentilles, de plusieurs compagnies, disponibles en 3-4 courbures et 2-3 diamètres. On pouvait vraiment adapter les meilleures LC au patient. Aujourd’hui, on ne peut qu’en placer sur l’œil du patient en espérant que cela va bien faire. Nous sommes dans le royaume du « one size fits all », c’est-à-dire une courbure et un diamètre par lentilles, sans grandes différences entre les produits. Résultat : 20 % des patients sont mal équipés, car ils ne correspondent pas aux moyennes qui servent de base à la production de LC.
Dans le cas des verres ophtalmiques, il se peut que cela soit différent de même que pour les montures. Mais la recette de fournir monture et verres ensembles, à prix imbattables, va diriger la demande et l’offre de service. Minimalement, la modifier significativement. Cela se traduira inévitablement par un resserrement de l’offre au consommateur.
Sur le plan de la protection du public, il est évident que nous étions déjà comme David devant Goliath, en termes de moyens financiers entre les Ordres professionnels et les manufacturiers, mais encore ici, on passe à un deuxième niveau. Les lois ne nous permettent pas d’intervenir comme nous le voudrions auprès des tiers qui exercent dans notre domaine, notamment s’ils sont basés à l’extérieur du Québec. Les moyens financiers qui sont maintenant générés par ces acteurs nous posent un défi majeur dans le cas où nous voudrions intervenir, autant que nous le puissions. Nous sommes, à long terme, tributaire de changements législatifs qui nous donneront des moyens suffisants pour assumer notre rôle de protection du public et empêcher des dérives que nous anticipons.
En bref, l’OOQ va donner la chance au coureur, mais nous restons très attentifs à comment les choses vont évoluer. L’intégration verticale est dans les gènes de Luxottica (Pearl Vision, Lens Crafters, etc.) et Essilor a développé aussi son créneau, via Internet, d’accès direct au public. On se retrouve ainsi avec des entreprises qui seront à la fois nos fournisseurs et nos compétiteurs. Et comme ils sont dominants comme fournisseurs, ils dictent les conditions d’approvisionnement. L’exemple des lentilles cornéennes, encore ici, n’est pas rassurant. Les fournisseurs nous vendent des produits plus chers que le prix de détail sur le web. Alors, comment compétitionner à armes égales ? Les professionnels se sont battus il y a 50 ans pour casser le modèle d’Imperial Optical et nous avons l’impression que ce combat n’a finalement servi à rien puisque nous nous retrouvons presque exactement au même endroit.
Nous espérons que les entreprises impliquées respecteront, au final, les professionnels qui ont collaboré avec eux depuis des décennies, mais les lois du marché sont telles que nous ne pouvons plus avoir aucune assurance dans le marché de l’optique. Comme professionnels, on est un peu comme des souris qui se retrouvent au milieu du lit, entre deux éléphants! »
Le 18 janvier:
Robert Grimard, O.O.D., propriétaire de plusieurs bureaux d’optique au Québec, au Manitoba et au Nouveau-Brunswick, a bien voulu nous livrer ses commentaires sur la mégafusion qui vient d’être annoncée entre Essilor et Luxottica :
«À mon avis, c’est dans l’ordre des choses. On assiste là à une fusion qui devait arriver entre deux partenaires complémentaires, lentilles et montures. C’était donc très prévisible d’autant plus que la compagnie Essilor a déjà été impliquée dans la distribution de montures jusqu’au début des années 1990 et qu’elle l’avait abandonnée pour se concentrer sur les lentilles. Tout cela tombe sous le sens. On vit dans un monde d’acquisitions et de fusions mondiales dans tous les domaines et l’optique en fait partie!
En tant que détaillants, nous avons déjà assisté à beaucoup d’autres fusions qui n’ont pas changé grand-chose à notre vie quotidienne. Et je ne pense pas que l’on voie les effets de la fusion EssilorLuxottica avant plusieurs années. Car je crois comprendre que les deux compagnies vont continuer à fonctionner de façon indépendante et je ne vois pas comment cela pourrait nous affecter dans l’immédiat. À moins que Luxottica veuille revenir avec un centre de distribution au Canada? Cela nous donnerait un meilleur service…
Pour conclure, dans cette fusion, je ne vois que du positif, mais sans doute pas avant 5 ans. Le modèle d’optique évolue et change, je vous dirais que c’est très rafraîchissant et excitant de voir notre industrie bouger ainsi!»