De la fabrication de peignes à celle de lunettes
vendredi, décembre 6 2024 | 08 h 44 min | Montures & Mode
L’évolution du savoir-faire artisanal
Par Sarah Bureau, RO
Au 18e siècle, les peignes à cheveux étaient un accessoire incontournable dans la mode féminine, particulièrement parmi l’élite européenne. Ces peignes simples, fabriqués à partir d’os, de corne et de métal, étaient conçus dans un souci de fonctionnalité pour soutenir des coiffures élaborées. Bien qu’ils n’aient pas le style orné qui émergera au 19e siècle, ces premiers peignes ont servi de base du savoir-faire artisanal qui aboutira plus tard à l’artisanat complexe de la fabrication de lunettes.
Des tendances changeantes et une popularité croissante
Au fur et à mesure que les styles de mode évoluaient, passant des motifs subtils du début du 19e siècle (1800-1830) à des tendances plus ornées et élaborées au milieu du 19e siècle (1840-1860), le style des peignes a également considérablement changé. Les coiffures des femmes sont devenues plus volumineuses et embellies, nécessitant des accessoires pour cheveux qui à la fois amélioraient l’esthétique et offraient un soutien structurel.
Les peignes du milieu du 19e siècle étaient sculptés à la main dans des matériaux tels que l’écaille de tortue, l’ivoire et la corne, et comportaient des détails élaborés tels que des motifs floraux et des incrustations complexes. L’utilisation de matériaux luxueux et la tendance à l’opulence se reflètent dans le style des peignes créés à cette époque. À la fin du 19e siècle (1870-1900), les peignes ornés ont atteint le sommet de leur popularité, accessoirisant les coiffures complexes et les vêtements somptueux de l’époque. Les progrès technologiques ont permis des expressions encore plus détaillées dans le design, et c’est à cette époque qu’un nouveau matériau, le celluloïd, a été introduit dans la production des peignes. Ce nouveau plastique pouvait être créé pour imiter l’apparence de matériaux naturels tels que la corne et l’os.
Au tournant du siècle (années 1900-1930), les tendances de la mode s’orientent vers le style épuré de l’époque des « Flappers », où les femmes portent les cheveux courts. Ce changement, ainsi que l’abandon des cheveux longs et stylisés, ont entraîné une baisse significative de la popularité des peignes à cheveux.
Le transfert de compétences vers la lunetterie
À mesure que la popularité des peignes déclinait, l’industrie qui avait prospéré pendant 100 ans a connu un ralentissement soudain. Cependant, les artisans, grâce à leur technologie avancée et leurs compétences générationnelles en matière de sculpture des matériaux des peignes, d’incrustation de nacre et de métal, et de polissage à la main, ont trouvé que ces techniques étaient directement transférables à l’art de la fabrication de lunettes.
Le haut niveau d’artisanat, de précision et d’expertise dans le travail avec des matériaux comme l’os, la corne et l’écaille de tortue a permis à ces artisans de peignes à cheveux d’entrer et de prospérer sur le marché de la lunetterie. Leur succès dans la transition de leurs compétences affinées vers la fabrication de montures a été une source d’inspiration pour les artisans de peignes qui ont suivi leurs traces, diversifiant et s’adaptant aux tendances changeantes. Ils ont ainsi créé un précédent pour les générations futures d’artisans et de fabricants, et leur héritage continue d’inspirer les fabricants de montures modernes.
De la fabrication de peignes à la Plastics Vallée
Les artisans de la ville d’Oyonnax, située dans le Jura français, illustrent la transition de la fabrication de peignes à celle de lunettes. Utilisant ses ressources naturelles, cette région était connue pour la fabrication de peignes à cheveux en bois et en corne dès le 18e siècle. Avec l’introduction du celluloïd en 1860, la ville d’Oyonnax est entrée dans le monde de la fabrication de matières plastiques, devenant éventuellement le centre de production de la nouvelle invention qu’est l’acétate dans les années 1940.
Léger, durable, flexible, et offrant une multitude d’options de couleurs et de designs, ce nouveau plastique est devenu le matériau de prédilection pour la production de lunettes, faisant de la ville d’Oyonnax une région de fabrication de plastiques de premier plan, souvent appelée la « Plastics Vallée ». Le plus grand producteur français d’acétate, Décoracet, est situé à Oyonnax. Décoracet provient de l’une des plus anciennes entreprises d’Oyonnax, G. Convert SA, qui produit des matières plastiques depuis sa fondation en 1830.
Un héritage moderne de savoir-faire exquis
Aujourd’hui encore, Oyonnax est une destination pour les amateurs de lunettes et de nombreux fabricants de lunettes renommés sont originaires de la région du Jura en France, notamment Gouverneur Audigier, Julbo et Morel, l’entreprise derrière des marques telles
que 1880, Koali, Öga, Lightec et Nomad. Si Oyonnax est aujourd’hui principalement connue pour sa production de lunettes françaises, il existe encore quelques fabricants de peignes qui prospèrent dans la région, tels que les accessoires de coiffure Veinière, fondés par Elysée et Marie Veinière en 1892 et qui, à ce jour, fabriquent et distribuent des accessoires de coiffure dans le monde entier. La production de peignes et de lunettes a rendu Oyonnax célèbre dans le monde entier et abrite désormais le Musée du peigne et de la plasturgie.
La transition de la fabrication de peignes ornés à la création de lunettes représente une évolution naturelle propulsée par le chevauchement des compétences, le partage des matériaux et de l’évolution des demandes du marché. Le savoir-faire artisanal impliqué dans la création des deux types d’art a démontré la polyvalence des artisans, qui ont capitalisé sur leur expertise existante pour saisir de nouvelles opportunités dans le domaine en plein essor de la lunetterie.
Sarah Bureau œuvre à titre d’opticienne autorisée à Niagara, en Ontario, depuis plus de 20 ans. Elle est propriétaire de sbspecs, une entreprise qui se spécialise dans la réparation et la personnalisation des lunettes pour les opticiens de partout en Amérique du Nord. Chaque paire de lunettes qui passe entre ses mains témoigne de son amour pour la restauration des lunettes et la modification des montures.
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